Everything Went Fine

La crise dans « Everything Went Fine » commence dès le premier instant. Emmanuèle (Sophie Marceau) est assise à une table dans son appartement, travaillant. Le téléphone sonne. Elle écoute l’appelant, que nous n’entendons pas. Elle demande : « Quand ? Où ? » puis se précipite vers la porte. Son père a fait un accident vasculaire cérébral, et l’appelant est sa sœur Pascale (Géraldine Pailhas), qui attend à l’hôpital. Les sœurs se précipitent aux soins intensifs pour le surveiller. L’urgence et la crise ne laissent aucune place à ce que vous appelleriez une trame de fond. Au lieu de cela, il nous reste à assembler qui est qui, qu’est-ce qui est quoi et ce qui pourrait se passer. Cette approche est extrêmement efficace et donne au film, réalisé par le prolifique et polyvalent François Ozon, un sens du réalisme, des enjeux importants mais une situation à taille humaine. Basé sur le livre autobiographique Tout s’est bien passé de feu Emmanuèle Bernheim (une collaboratrice fréquente d’Ozon), « Everything Went Fine » est un portrait émotionnel et complexe d’une famille en crise, l’AVC du père révélant des fissures sous-jacentes, des douleurs anciennes, de nouvelles angoisses.

Emmanuèle et Pascale entretiennent une relation étroite, agrémentée de conversations via ESP (un regard est une conversation entière, aucun mot n’est nécessaire), mais nourrie de ressentiments remontant à l’enfance. Pascale élève deux enfants, et Emmanuèle est romancière, mariée à Serge (commissaire de cinéma, occupé à organiser un festival Luis Buñuel). André, leur père âgé, incarné par André Dussollier (un visage familier), aujourd’hui paralysé d’un côté, est acariâtre et imprévisible dans sa maladie. À en juger par quelques flashbacks, présentés de manière impressionniste dans la manière dont fonctionnent les fragments de mémoire, il était un père instable, méchant et égocentrique. (« C’était un mauvais père, dit Emmanuèle, mais je l’aime. ») Leur mère, interprétée par Charlotte Rampling, était sculptrice avant que l’arthrite et la maladie de Parkinson ne lui abîment les mains. Elle a souffert de dépression débilitante toute sa vie et est une figure périphérique mais importante, les décennies d’angoisse gravées sur son visage, assombrissant ses yeux. Les sœurs sont chargées du rétablissement de leur père.

Les choses basculent quand André demande à Emmanuèle de l’aider à mourir. Emmanuèle, qui a subi de plein fouet ses commentaires cruels en grandissant, se sent obligée, alors elle se renseigne. C’est une proposition dangereuse. Il aurait besoin d’être transporté en Suisse pour le « droit de mourir dignement ». Emmanuèle contacte un médecin à la retraite qui travaille dans une clinique en Suisse, et ce médecin (incarné par la grande Hanna Schygulla) lui expose les options. Ce qui a commencé par un drame assez classique sur la maladie familiale se transforme en quelque chose de complètement différent.

Emmanuèle Bernheim est décédée en 2017. Elle était l’enfant de parents artistes aisés, d’un père collectionneur d’art et d’une mère sculptrice (en témoigne l’adaptation cinématographique). Romancière primée, elle a également écrit plusieurs scénarios avec Ozon : « Under the Sand » (2000), « Swimming Pool » (2003), « 5×2 » (2004) et « Ricky » (2009). Claire Denis a adapté son roman « Friday Night » au cinéma (2002) avec Valérie Lemercier et Vincent Lindon. Bernheim a également écrit pour la télévision. Son travail est dense et riche, rempli de détails humains, qui se voient et se ressentent tous dans les films qu’elle a écrits. Les détails de « Tout s’est bien passé » sonnent sans équivoque de réalité. Ces détails ne mènent à rien de bouleversant – comme le sandwich au saumon avec une bouchée, comme les lentilles de contact d’Emmanuèle, comme le festival Buñuel – mais semblent très réels, les choses que vous remarquez lorsque la vie devient intense lorsque tout change. Il y a un certain type de clarté qui vient. Les choses apparaissent en juxtaposition, presque comme si la vie elle-même devenait une vanité littéraire. Ces éléments ne crient pas « Symboles ! » mais ressentez plutôt la texture de la vie telle qu’elle est vécue.

La vie, cependant, continue, en même temps que la crise. Le petit-fils d’André donne un récital de musique. Emmanuèle rend visite à une amie et nage dans l’océan glacial, se sentant coupable d’avoir pris du temps loin de son père. Il y a des visites à la mère, qui est presque inaccessible dans son endurance silencieuse. Il y a aussi des éclats de rire aléatoires lorsque les choses deviennent absurdes. Les petites interactions épineuses entre les sœurs font partie de la vie, rien de ruineux ni de définitif. Ainsi sont les familles. André est très difficile, et les flashbacks sont douloureux. (« Stupide fille », dit-il à l’enfant Emmanuèle lorsqu’elle s’embrouille en lisant une feuille de route. Ou « Je vois que tu te bourres encore la gueule » alors qu’Emmanuèle mange innocemment un morceau de pain.) Ozon et Bernheim permettent au papa de être complexe. Les souvenirs d’enfance peuvent être douloureux, mais les maladies peuvent donner une perspective. Vous vous rassemblez. C’est un film très sensible et doux, délicatement observé, et facile dans sa présentation.

Le désir de mourir d’André n’est qu’une petite partie de la tapisserie de la vie. Personne ne donne consciemment une « grande » performance ; personne n’atteint l’anneau en laiton. Cet ensemble est une famille crédible. Marceau est pleinement vivante à l’écran, oscillant entre dépanner le droit de mourir de son père, hanté par l’ambivalence, et s’occuper des préparatifs (faire son testament, etc.). Quand elle a besoin de pleurer, elle se cache dans une cabine de toilette. Le chagrin, la peur et la colère émanent du visage de Dussollier, et sa tendresse est aussi surprenante que frustrante. Peut-être que ses enfants auraient pu utiliser cette tendresse quand ils étaient petits. Mais le recul n’est pas 20/20. André a vécu une vie privilégiée, mais il y a des complexités, qui se révèlent lentement au fil du film, ajoutant des nuances au personnage. Les gens ne sont pas qu’une chose. Rampling est tellement perdue dans une agonie silencieuse qu’elle est à couper le souffle lors de sa première apparition. C’est comme si son âme s’était enfoncée dans un trou. Dans un flash-back, on la voit travailler dans son atelier, expliquant à Emmanuèle sa démarche artistique, et c’est déchirant de penser à ce qui va suivre pour elle. Rampling est l’une de nos plus grandes actrices.

C’est si bon de voir Hanna Schygulla. Elle est brièvement dans le film, mais elle projette une longue ombre. Son énergie est presque béatifique et le sourire sur son visage vient du plus profond de son cœur. C’est une guide, une sucette et une guérisseuse. Elle raconte à Emmanuèle une histoire où la femme d’un de ses clients a mis un jour une robe rouge. Cette histoire, et la manière simple dont Schygulla l’a racontée, m’ont fait pleurer. Personne ne peut se préparer à avoir des parents âgés, à les voir se transformer, à inverser les rôles et à faire face à la mortalité – la leur et la vôtre. C’est marrant, les choses qui finissent par avoir de l’importance, les choses qui « collent » quand la vie se déplace avec la marée.

Un sandwich avec une bouchée.
Brahms.
Luis Bunuel.
Une baignade dans une eau glacée.
La façon tendre dont un père difficile dit : « … Ma fille… »
Une robe rouge.

Maintenant à l’affiche dans les salles.

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