MC Jean Gab’1
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MC Jean Gab’1 : « La France est un pays raciste et l’a toujours été. »

« Ça va être vite fait, 20 minutes max », annonce d’emblée Jean Gab’1 quant à la durée de l’interview. Tee-shirt blanc, jogging gris, la gouaille à fleur de bouche, il ressemble à un personnage de Michel Audiard paumé dans les années 1990. Rien d’étonnant à ce que sa vie soit un roman : l’histoire d’un enfant de la DDASS décidé à dépouiller l’existence de ce qu’elle ne lui a pas donné. Le MC, nettement plus gangster que rappeur, se raconte dans un bouquin, Sur la tombe de ma mère. Volontiers provocateur, souvent dans l’outrage et l’excès, comme dans ses lignes, dont le propos n’engage que lui, il revient sur ses braquages, l’amitié, la vie en calèche outre-Rhin et la musique dans cet entretien qui durera finalement près d’une heure.

MC Jean Gab’1, c’est un nom original dans le hip-hop, les rappeurs ont plutôt tendance à choisir des noms de mafieux italiens…

Tu ne prends pas un blase d’Italien quand tu sais que théoriquement les Italiens détestent les Noirs et vice versa. J’en ai choisi un qui était typiquement franchouillard et vu que le gus est une institution en France… C ‘est aussi pour ma gouaille et parce que je suis né à Paname.

Et pour le MC ? Ça a uniquement rapport avec le rap ?

Non, MC sont les initiales de mon nom et de mon prénom [NDLR : Charles M’Bous], pas autre chose. Après dans le hip-hop on dit toujours MC, alors je me suis pas fait chier. Et puis ça fait un truc ricain et un truc français dans le même nom.

Tu as baigné dans la culture rap qui émerge dans les années 1980, mais on a l’impression que c’était surtout un bon moyen pour toi de raconter ta vie, d’exorciser certaines choses.

Le rap c’est une cour de récré, je l’ai toujours dit. Il n’y a que des mythomanes. Dans ma vie, c’est un accident. J’avais prévu de faire du cinéma, mais comme on ne me propose que des rôles de rappeurs… Faut que les mecs arrêtent, j’ai 46 ans. En vérité, les gens adorent comment je jacte mais ils voudraient que je sois blanc.

« La meilleure des choses à faire ? Ne pas dépouiller un type lambda mais les racketteurs eux-mêmes. »

Ton histoire commence par un drame [NDLR : son père assassine sa mère]. Tu es alors confié à la DDASS. Que retiens-tu de cette époque ?

La DDASS, c’est une bouée de sauvetage. L’assistance publique, c’est ce qui permet d’avoir des chaussures et des chaussettes. Si j’avais pas eu ça, je ne sais pas dans quelle merde j’aurais été.

Tes premiers délits sont des arrachages de sacs et des rackets. Tu dépouilles même les autres racketteurs…

Chacun a sa spécialité. Moi, c’était la dépouille. La meilleure des choses à faire ? Ne pas dépouiller un type lambda mais les racketteurs eux-mêmes : ils ne vont pas à la police. Toute la semaine je faisais de la chourave et le vendredi soir, quand j’avais besoin de plus de fric pour sortir, j’allais voir la dizaine de gus qui avaient dépouillé toute la journée et qui s’apprêtaient à rentrer au bobino : t’as trois blousons, donnes-en moi deux. On se sert toujours de quelqu’un dans la vie. T’as toujours besoin d’un marchepied et si c’est pas lui c’est un autre.

La première fois que tu te fais arrêter, c’est pour un délit que tu n’as pas commis. C’est le début de l’engrenage. La prison serait donc la meilleure école pour devenir un grand criminel ?

Ouais, un criminel tout court même. C’est en prison qu’on m’a expliqué comment braquer. Une prison c’est une prison et ça doit le rester : on sait pourquoi on y entre. Mais si on te met avec un gros animal dans la même cellule, quand tu sors tu le deviens aussi.

« Si les prisons ont cette réputation, c’est à cause de la surpopulation et de l’hygiène. Mais il ne faut pas oublier que le Français est un crado. Déjà qu’il ne nettoie pas chez lui, alors nettoyer sa cellule… »

On dit que les prisons françaises font partie des pires d’Europe. Qu’en penses-tu ?

Ici, les keums sont toujours en train de pleurer alors qu’ils ont le téléphone et la télé. Si les prisons ont cette réputation, c’est à cause de la surpopulation et de l’hygiène. Mais il ne faut pas oublier que le Français est un crado. Déjà qu’il ne nettoie pas chez lui, alors nettoyer sa cellule… Ce n’est pas le pays du parfum pour rien.

MC Jean Gab’1
MC Jean Gab’1

En ce qui concerne la surpopulation carcérale, penses-tu que les hommes politiques peuvent y changer quelque chose ?

Tous des menteurs ! Mais, de toute façon, on vit dans un pays de menteurs. C’est notre culture, on aime trop les mots, le verbe ! La moitié du gouvernement français devrait être en prison. Ce n’est qu’une bande de rapineurs. De gauche, comme de droite ! Au début, on parlait beaucoup de Taubira. Et qu’est-ce qu’elle a fait ? La loi sur le mariage homosexuel. C’est un pion parmi d’autres. À la base, Taubira je l’adorais. Lors d’une émission faite avec elle, je l’avais trouvée fantastique. Mais depuis qu’elle est entrée au gouvernement, elle sert à rien. Elle ferait mieux de se mettre dans le même coin que Rachida Dati pour raconter ses conneries. Je suis très déçu par elle et par tous les basanés, noirs ou chinetoques de ce gouvernement et du précédent. Il n’ont jamais compris une chose : ils ne seront jamais représentés.

Mais encore ?

La France est un pays raciste et l’a toujours été. Le Français ne veut pas reconnaître qu’il est raciste. Mais qu’il regarde son histoire ! On nous a appris à l’école qu’il ne fallait jamais oublier. L’Européen est le plus gros raciste de l’Histoire. Juste derrière, il y a l’Arabe. Au final, le Blanc déteste l’Arabe et l’Arabe déteste le Noir. C’est ça que je reproche aux gens : ils n’assument pas ce qu’ils sont. J’ai envie de leur dire : t’es ce que t’es alors assume !

Après ton premier séjour en prison, tu deviens braqueur. Comment le devient-on ?

Déjà, si on hésite, faut rester à la maison. Hésiter ça veut dire avoir le cul entre deux chaises, et avoir le cul entre deux chaises, c’est se faire enculer : la fesse droite sur une chaise, la gauche sur une autre et en dessous la place pour la quenelle. Puis il faut bien calculer ce que tu dois faire, retapisser la cible et savoir d’où peuvent venir les perdreaux. Ils sont souvent encore bien plus flippés que toi et donc dangereux.

À la fin des années 1980, tu te tires en Allemagne. C’était comment avant la chute du mur ?

Si les gens te disent aujourd’hui que l’ambiance à Berlin est fantastique, sache qu’à l’époque tu pouvais la multiplier par dix. De toute façon les Allemands, les Belges ou les Suisses bougent beaucoup plus que les Français, qui ne savent que se poudrer et mettre du parfum.

Tu vas faire 5 ans de taule en Allemagne. Dans le livre tu reviens sur cette microsociété qu’est la prison, avec ses codes et sa hiérarchie. Peux-tu nous en parler ?

Au-dessus de tout t’as les tueurs de flics, mais ils ont que des emmerdes ; juste en-dessous les braqueurs et les vendeurs d’armes ; puis il y a les proxos et les vendeurs de drogue ; et enfin, t’as la lie de l’humanité : les tarés et les violeurs. Je crois même que si t’es nécrophile t’es mieux vu que si t’es violeur.

Ton prochain bouquin traitera de tes anciens camarades codétenus, notamment allemands. Est-ce un moyen de leur rendre hommage ?

Bien sûr. Dis-toi bien, l’amitié que j’ai connue à l’intérieur, je ne la connaîtrai plus jamais. Je suis nostalgique de cette époque-là. Je ne retrouverai plus jamais des mecs sincères, prêts à crever pour toi comme toi tu serais prêt à crever pour eux. Pas d’histoires de fric ou de baratin. Maintenant un mec quand il a du fric, il est respectable. Pour moi ça n’a jamais été une valeur. Même les putes font de l’oseille.

« Renaud est devenu une pâle copie de ce qu’il était. »

Dans les années 1980, le hip-hop débarque. On a l’impression d’assister à un changement brutal dans les milieux populaires urbains.

C’était un changement d’époque. Il faut vivre avec son temps. Quand tu es né ici tu n’as pas à devoir t’intégrer, tu l’es déjà. Sauf que nous on voulait qu’on soit plus intégré que les autres en bouffant des conneries : tous les Johnny Halliday, France Gall et leurs trucs de merde. Moi ça me désole quand je vois un merdeux qui écoute Johnny Halliday. J’ai envie de lui dire : je suis désolé, tes parents t’ont bourré le mou, c’est même pas lui qui chante mais le neuneu qu’il y a derrière lui. Heureusement pour nous, le hip-hop est arrivé. On a pu s’identifier à cette nouvelle culture qui débarquait de l’autre côté de l’Atlantique.

La chanson française t’a malgré tout influencé, notamment Renaud. Était-ce selon toi un précurseur du rap ?

Il m’a influencé jusqu’à ce qu’il me déçoive. À la base, c’était presque un rappeur. Quand tu décris les choses qui se passent autour de toi, t’es une sorte de rappeur, ou plutôt un ménestrel. Si être rappeur ça veut dire avoir une technique, moi j’en ai pas. Bref, quand j’étais à la DDASS, ses chansons me touchaient, me prenaient aux tripes. Si j’ai gardé cette manière de parler, c’est aussi à cause de lui. Mais le problème de Renaud, c’est qu’il est devenu ce qu’il a critiqué : un bobo. Aujourd’hui quand je regarde le gus, j’ai envie de lui dire que c’est une merde multipliée par 18. Je suis désolé pour lui, vraiment. C’est devenu une pâle copie de ce qu’il était.

Te reste-t-il des potes de l’époque de ton gang, les Requins Vicieux ?

Je les vois rarement parce qu’on parle toujours de la même personne et que ça me fait chier. Les seuls vrais potos que j’avais parmi eux sont plus de ce monde. Les autres, qu’ils aillent se faire taper dans la raie. Surtout les pionniers. Je leur pisse dessus.

« ODB son problème, c’est qu’il croyait que la France était uniquement le pays du fromage. »

Dans le livre tu parles de Joey Starr et Doc Gynéco. Tu es plus sympa avec le second qu’avec le premier…

Bruno [NDLR : Doc Gynéco], je le connaissais beaucoup moins que l’autre. Quand j’avais 19 ans, il en avait 13. Il m’a quand même proposé de poser sur son album, alors qu’il était en compagnie de Catherine Ringer et Fred Chichin. Sur le moment, j’avais d’ailleurs songé à séquestrer le couple pour demander une rançon. Attends deux minutes. (Il sort cracher un mollard puis revient.)

Joey Starr, lui, je le connaissais mieux, mais on n’a jamais été amis. J’ai jamais participé à tous leurs délires. Ce sont mes potes qui assuraient leur sécurité. Moi je les ai jamais suivis dans leurs conneries. J’ai jamais foutu le cul dans leurs bus. Je ne ne suis pas un troubadour qui aime les camping-cars. Ils parlaient beaucoup de Saint-Denis dans leurs chansons, mais j’y étais plus souvent qu’eux. Ils traînaient plus à Montmartre. J’ai jamais pu les blairer.

Et puis arrive J’t’emmerde : le règlement de compte avec le rap qui t’a fait connaître…

Non, ce n’était pas un règlement de compte ! C’était la vérité, et elle se vérifie.

Tu crois que les rappeurs visés t’en veulent encore ?

Bien sûr qu’ils m’en veulent. Ça a empêché certains de bouffer et ça a infirmé les bêtises qu’ils prônaient. Le seul qui s’en est vraiment sorti, c’est Booba. Je lui disais qu’il savait pas qui il était : un rebeu ? Un renoi ? Un rebeu qui joue au renoi ? Puis il est parti aux States et il a enfin compris qui il était. Il est revenu chez les renois. À la rigueur, si j’avais 16 ou 17 ans, j’écouterais ce grand con. Je me reconnaîtrais plus dans ses délires bling-bling. Les autres, ils parlent de la rue alors qu’ils n’y sont plus depuis longtemps ; ils parlent de la violence alors qu’ils ne l’ont jamais vécue. Je suis plus sensible à la musique de Booba qu’à celle de toute la bande de branleurs qu’il y a derrière. Et puis, il laisse la religion là où elle est, contrairement à Kery James, Rohff, et tous ces couillons. Ça n’a rien à foutre dans la musique.

Tu tailles aussi un costard à certains rappeurs américains dans ton livre, comme Ol’ Dirty Bastard du Wu-Tang Clan…

ODB son problème, c’est qu’il croyait que la France était uniquement le pays du fromage. Il était insolent mais inconséquent. Moi je veux bien qu’il ait tiré deux piges, mais quand tu fais une peine si courte, c’est que t’as braqué un Coréen, une épicerie au mieux. Un braquo normalement, c’est une peine à deux chiffres, même si elle peut être réduite par la suite. Je le prenais pas au sérieux. Le Wu-Tang, c’est une bande de guignols. Une moitié de toxicos, l’autre de mythomanes.

Qu’est-ce qui a changé à Paris par rapport à ton époque, notamment dans les quartiers que tu fréquentais ?

Les gens ne sont plus les mêmes. Ce n’est plus la même immigration, ce n’est plus le même bordel, ça n’a plus rien à voir. J’avais déjà vu la différence quand j’étais revenu en France après mon expérience en Allemagne. Dans les années 1980, il n’y avait pas autant de Noirs. Il n’y avait pas les Afghans, les Tunisiens de Lampedusa et tous les gens de l’Est. Et en même temps, Paris se boboïse. On aménage des parcs, des conneries comme ça, où les dealers pourront faire leur business plus facilement. Les mixités sociales et communautaires n’existent pas. Elles n’ont jamais existé.

Avoir écrit ce bouquin, est-ce un aboutissement quelque part ?

La seule chose que je voulais en sortant de zonzon, c’était écrire un bouquin. Écrire un bouquin puis continuer à braquer après.

Mais maintenant que c’est fait, tu vas pouvoir en écrire un deuxième. Sauf si braquer reste ta vocation.

(Il sourit.) C’est justement ça le problème : la vocation. Là il y a une pause… Mais tu ne sais jamais quand elle se termine.

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