Un divan à Tunis
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La place des femmes dans le monde du cinéma franco-maghrébin : Un Divan à Tunis

Un Divan à Tunis est le premier long-métrage de Manele Labidi. C’est avec légèreté et humour qu’elle nous parle de son pays en pleine crise identitaire. Elle nous propose une comédie profondément touchante qui pose de vraies questions et y répond avec sincérité et autodérision.

Un air de révolte

Au lendemain du printemps arabe, c’est une Tunisie bouleversée que l’on retrouve dans ce film, il expose le panorama de cette société en pleine reconstruction. La réalisatrice Franco-Tunisienne fait preuve d’audace dans sa façon de traiter la question du retour au pays. Pour une fois, le personnage ne quitte pas son pays, mais il y retourne. Le scénario de l’immigration s’inverse avec celui de la re migration, bien que ce mot soit un néologisme, c’est un phénomène d’actualité qui pose une question très contemporaine. Selma, décide donc de rentrer dans le pays où elle a grandi en pensant qu’elle trouverait un travail plus facilement en ouvrant son cabinet de psychanalyste. Nous retrouvons donc vraiment ce jeu d’inversement qui rend le scénario assez original.

Une femme dans l’air du printemps

D’ailleurs, cette situation de retour au pays pose inévitablement la question de la double culture, au sein de ce pays, lui-même en quête d’identité.

En rentrant en Tunisie, Selma n’échappe pas aux critiques et aux reproches de sa famille ainsi que ceux des habitants du quartier. Ils la considèrent comme la « Française » privilégiée qui aurait abandonné son pays en quête de « l’eldorado français ». Un mythe qui reste un grand fantasme pour eux. Elle se fait même traiter de « crâneuse post-coloniale » par la patronne du salon de coiffure qui la trouve arrogante dans son rôle de psychanalyste. Le personnage de Selma mène alors un double combat dans ce film. Premièrement celui de son identité, de sa double nationalité, de sa double culture qui tous deux, font partie d’elle. Deuxièmement, le combat d’une femme… Selma est une jeune femme de 35 ans célibataire et qui plus est sans enfant. C’est un modèle marginal pour cette société tunisienne, longtemps habituée aux traditions du mariage et de la religion. Ces deux cultures qui vivent en elles ne sont pas toujours faciles à comprendre pour son entourage bien qu’elle ne veuille pas faire de choix entre les deux, ces derniers lui font comprendre qu’elle est différente et qu’elle ne sera jamais vraiment comme eux.

Le combat acharné qu’elle mène pour avoir le droit d’exercer dans son cabinet est à la fois émouvant et assez comique, à l’image de ce film. Selma pensait être plus sereine en exerçant son métier de psychanalyste en Tunisie. Cependant, elle se heurte à plusieurs difficultés. La première, dédiaboliser son métier qui est considéré à la limite de la sorcellerie pour beaucoup. C’est alors tout un travail d’information et de communication dans lequel elle se lance avec la solidarité de quelques habitants. Cette épreuve qu’affronte Selma met en avant le décalage entre la société qui avance et les institutions qui stagnent.

Le cinéma pour réécrire la société

D’ailleurs, une des scènes du film en est très représentative lorsque Selma se fait arrêter de nuit par le policier Naïm, il lui ordonne de passer un éthylotest, néanmoins il n’y a pas d’éthylotest à proprement parler dû à une « coupure budgétaire ». Selma est donc contrainte de souffler directement dans la bouche du policier, cela reste une scène très drôle.

Ce film sait aborder avec humour et dérision les problèmes auxquels le pays fait face depuis la révolution.

En plus d’aborder des problèmes d’ordres sociaux et politiques à travers le personnage de Selma, cette comédie nous parle également des relations amoureuses à l’ère d’un contexte de post-printemps arabe. Par exemple, l’homosexualité est un sujet très tabou en Tunisie et notamment dans le monde arabe, à tel point qu’au Maroc on peut encore encourir la peine de mort pour avoir aimé quelqu’un du même sexe. Toutefois, c’est avec grande liberté et beaucoup d’humour encore une fois que ce film traite la question. Le personnage de Raouf, boulanger et plus fidèle patient de Selma, lui confie qu’il rêve secrètement de grands dictateurs durant ses nuits ce qui le trouble fortement. Un fantasme qu’il cherche à renier de tout cœur, question de pudeur. Néanmoins au fil des séances avec Selma il s’acceptera de plus en plus et laissera transparaître une certaine évolution. Jusqu’à la scène, où privé de ses consultations avec Selma, il se déguisera en femme afin d’accéder au Hammam et provoquera la panique générale. Cette scène-là, rappelle celle du mariage arrangé de la nièce de Selma, Olfa jeune adolescente décide de se marier avec son voisin, secrètement homosexuel et de nationalité française. Les deux y trouvent leur compte lui en se mariant avec Olfa son secret sera bien gardé et elle pourra profiter de sa nationalité française afin d’aller y vivre, son plus grand rêve. Je trouve ce moment du film très drôle et à la fois hors du temps. Olfa ne voit vraiment aucun avenir dans son pays, son personnage traduit avec sarcasme le grand désespoir de la jeunesse tunisienne prête à tout pour quitter son pays.

Une touche de légèreté au milieu du chaos …

Manele Labidi n’a pas peur de choquer, elle n’a pas peur de faire rire. L’humour est son arme. Arme qu’elle utilise à merveille dans ce film pour faire passer son message avec légèreté et vivacité. L’ensemble de ces personnages y compris celui de Selma reflètent un à un les maux de la société tunisienne. Selma pose la question de son identité, Olfa porte la parole de toute une génération incertaine de son avenir. Le personnage de Raouf lui représente le conflit entre l’évolution des mœurs et les traditions…

C’est donc avec un œil futuriste et plein d’espoir que Manele Labidi nous dépeint la situation fragile de la Tunisie, dans un contexte de crise, ce film arrive quand même à nous faire rire !

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